Le silence et le noir. Voilà l’état qui règne dans les salles de spectacle. Cet état, qui d’habitude ne dure que quelques courts instants avant que l’espace et le temps prennent forme, est parti pour durer. Le secteur professionnel de l’art et de la culture est à l’arrêt, mais rassurons-nous tout de suite, l’art et la culture continuent d’exister à travers de nombreuses initiatives de nos concitoyen·ne·s.
Le premier réflexe dans cette crise sans commune mesure doit être la solidarité. Solidaires envers les artistes, créatrices·teurs qui sont les plus fragiles de notre secteur subventionné du spectacle vivant. Nous nous devons, nous directrices·teurs de lieux culturels subventionnés d’adopter un positionnement clair, réglons les contrats de cession des spectacles annulés pour ainsi permettre le maintien des économies plus que fragiles des artistes. Nous savons que nous nous relèverons plus facilement que les artistes de la crise économique qui s’annonce parce que les mécanismes de soutien seront avant tout destinés aux structures plutôt qu’aux artistes. C’est donc maintenant que nous avons le devoir, et les moyens, de nous assurer que les autrices·teurs, créatrices·teurs, les artistes survivent socialement.
Ensuite, profitons de ce silence et du noir pour réfléchir profondément, penser en repoussant nos vieux réflexes, acceptons de nous abandonner dans le silence et le noir pour mieux nous retrouver. Ne faisons pas semblant, ne nous livrons pas à la croyance du « tout pareil mais en numérique ». Lorsque l’urgence sanitaire sera levée et que nous pourrons reprendre nos activités artistiques qui consistent à discourir esthétiquement et intellectuellement tous ensemble, rassemblé·e·s en un lieu, espérons que nous aurons cheminé individuellement pour sortir grandi collectivement de l’isolement.
Nous devrons refuser haut et fort la fatalité que les libéraux viendront nous asséner pour renflouer la dette, une dette peut s’effacer (oui oui les rois le faisaient). Nous devrons penser et agir au bénéfice de toutes et tous et pas seulement des premiers de cordée, ceux là-même qui portent une responsabilité importante dans les politiques d’austérité à la défaveur des secteurs publics, politiques qui font que nos sociétés démocratiques aussi riches soient-elles n’ont même pas les moyens de fournir de simples masques de protection à tou·te·s les femmes et hommes qui dépassent leur peur pour venir en aide aux malades.
Profitons du silence pour demain prendre la parole avec consistance et insistance contre les effets néfastes du capitalisme non-régulé, profitons du noir pour éclairer nos consciences sur la nécessité de prendre soin de ce qui nous entoure autant que de nous-même.
Martin Palisse,
Artiste de cirque,
Directeur du Sirque, pôle national cirque de Nexon
Secrétaire délégué au service public des arts et de la culture, Syndeac
Photo (c) Hugo Malidin pour La Route du Sirque 2019 – Cie Non Nova Phia Ménard « Contes Immoraux Partie 1 Maison Mère »